Emploi, Réflexion, RH, Société

5 ans, 7 ans, 10 ans d’expérience professionnelle. Parlons-en ! 

Crédit Image : Cdiscount

Bien le bonjour à tous !

J’espère que vous allez bien et que le deuxième trimestre de 2024 se passe pour le mieux pour chacun. Quant à moi, Al Hamdoulillah ! Que Dieu continue d’être au contrôle de tout pour tous.  

Cela fait quelques années que je voulais traiter d’un sujet qui fait couler beaucoup d’encre et fait l’objet de nombreux débats parfois entretenus par mes confrères RH. Il s’agit du nombre d’années d’expérience professionnelle demandé dans les avis de recrutement. Pourquoi demander 5 ans, 7 ans voire 10 ans d’expérience professionnelle pour un poste ? Ces nombres d’années ne sont-ils pas trop élevés pour des recrutements ? Pourquoi demander aux jeunes diplômés d’avoir 5 ans d’expérience avant de les recruter ? Il faut commencer quelque part pour avoir l’expérience non ? Telles sont les questions qui reviennent souvent.

Sur LinkedIn, ce débat a encore été remis sur le tapis avec la récente élection de Bassirou Diomaye Faye, le nouveau Président de la République du Sénégal, qui « n’a aucune expérience en politique ni dans aucun mandat électif auparavant mais est devenu PR « . Pourquoi ne pas donc donner leur chance aux jeunes demandeurs d’emploi et continuer à demander plusieurs années d’expérience qui, de facto, les écartent ?! Naturellement les recruteurs et employeurs sont souvent incriminés pour ce que certains pensent être une mauvaise manière de recruter.  

Dans ma période de quête infructueuse d’un emploi, j’avais également cette lecture du recrutement mais avec le recul, mon point de vue a drastiquement changé. Dans cet article, j’aimerais apporter mon analyse de ce sujet et donner des éléments de compréhension, surtout aux demandeurs d’emploi, sur la place de l’expérience professionnelle dans le recrutement.

Je me sens un peu légitime pour aborder ce sujet car cela fait plus de dix ans que je fais du recrutement, de différents profils et dans plusieurs secteurs d’activités. Ma première ‘vraie’ expérience de RH s’est passée dans un cabinet conseil RH avec plus de 90% de missions de recrutement (pour le compte de grandes institutions) sur lesquelles j’intervenais. D’ailleurs, l’un de mes faits d’arme est de participer, en première ligne, au recrutement de tout le staff d’une nouvelle banque lors de son installation au Togo en 2015. Dans l’une des organisations où j’étais, j’ai élaboré et implémenté tout le processus de recrutement avec tous ses outils. La semaine dernière, ma référente RH du Siège me félicitait de la qualité de mes recrutements et s’étonnait de la célérité avec laquelle je les finalisais. Je lui ai répondu que c’est l’une des fonctions RH que je maitrise le mieux. Pour dire que j’ai une certaine connaissance du sujet même si, comme tout professionnel soucieux de grandir, je continue d’apprendre tous les jours.

Etant attendu que les points abordés dans cet article proviennent de mon appréciation du recrutement basée sur mon vécu et ma propre expérience, ils peuvent donc être un peu subjectifs. En outre, je dirai des choses qui heurteront certaines sensibilités mais ce sont des réalités factuelles que je ne peux pas occulter.


Généralités sur le recrutement

Le recrutement peut se définir comme l’ensemble des techniques et moyens qui permettent à une organisation de se doter de la main d’œuvre quantitative et qualitative nécessaire à l’atteinte de ses objectifs.

Le recrutement commence avec l’émission du besoin par le responsable du service/département, souvent appelé le « hiring manager », via une demande de recrutement adressée aux RH. Les RH doivent s’assurer avec les finances qu’un budget est prévu pour le poste. Le profil du poste (ou la fiche de poste ou encore le job description) est défini avec le hiring manager, qui est le N+1 du poste à recruter. Dans le profil de poste, on retrouve essentiellement :

– l’objectif du poste ;

– les tâches, missions et responsabilités ;

– les liens hiérarchiques et fonctionnels, les interactions en interne et à l’externe ;

– le profil du titulaire du poste : niveau de formations, diplôme, certificats, formations complémentaires, compétences techniques et fonctionnelles, expérience professionnelle, nombre d’années d’expérience, environnement de l’expérience, capacités ou aptitudes personnelles, capacités managériales et de leadership…

Le profil est déterminé en fonction du travail à faire, du niveau d’exigence et de technicité du poste, du positionnement dans l’organigramme… C’est à partir du profil de poste que l’annonce de recrutement est élaborée et les différents critères contenus dans le profil de poste sont utilisés pour la présélection des candidatures. Généralement, la présélection se fait suivant une grille qui reprend les critères les plus importants avec une notation donnée à chaque critère. Ces critères sont choisis selon leur pertinence et sous une forme ‘entonnoir’, c’est-à-dire du général au spécifique.  

De manière concrète et pour illustrer la présélection, je prends l’exemple d’un recrutement que j’ai finalisé récemment. Il s’agit d’un Coordinateur de projet que nous avons recruté pour coordonner un nouveau projet en cours de lancement par notre organisation. Les critères que j’ai pris en compte dans la grille de présélection sont les suivants :

  • Doctorat en médecine ;
  • Formation en santé publique ;
  • Formation complémentaire en gestion de projet ;
  • Trois ans d’expérience minimum dans des fonctions de chef/coordinateur de projet ;
  • Expérience en santé communautaire ;
  • Expérience en protection VBG* ;  
  • Expérience en renforcement de capacités/supervision de professionnels de santé ;
  • Expérience dans un projet de santé ou dans une ONG internationale ;
  • Connaissance du système de santé de la RDC.

Une note a été attribuée à chacun des critères et un seuil général a été fixé ; c’est ce seuil qui a servi à retenir ou non les candidats à l’issue de la présélection.  

Il faut savoir que les critères de présélection concernent beaucoup plus les compétences qui peuvent être appréciées en lisant un CV en l’occurrence les formations, l’expérience, les compétences techniques induites par cette expérience, les environnements de cette expérience… L’appréciation des autres aspects se fait en entretien ou avec des tests spécifiques. Il est donc important que le CV soit assez détaillé avec toutes les informations pertinentes sur l’expérience professionnelle.

Il faut noter que le recrutement est fait de concert avec le hiring manager qui est impliqué à tous les niveaux du processus. Le profil de poste est élaboré/actualisé et validé avec lui, il valide les critères de présélection et la présélection elle-même. Il peut proposer la liste restreinte des candidats pour la suite du processus ou bien amendé la liste restreinte dressée par les RH, il participe aux entretiens en proposant les questions techniques de ceux-ci. Dans certaines organisations, la présélection est faite par le hiring manager. Personnellement, je ne suis pas favorable à cette méthode et dans mes expériences, c’est mon équipe RH qui se charge de cette tâche. Le hiring manager est impliqué parce qu’il sait plus que les RH, le profil de la personne qu’il veut réellement compte tenu des missions et responsabilités qui lui seront confiées. Les RH sont parfois taxées de recruter des gens que les hiring managers ne veulent pas. Il est donc important de les impliquer dès le début. Le point sur lequel je n’ai jamais été d’accord avec eux c’est quand ils évoquent le ‘feeling’ pour recaler des candidats pourtant qualifiés. C’est un autre débat. Passons !

Le recrutement avec les ATS** a également ses exigences en ce qui concerne les critères de présélection. Dans leur cas, le recrutement est encore plus pointilleux car c’est une sélection automatique et il n’y a souvent pas de demi-mesure contrairement au recrutement ‘de la vielle école’ auquel je suis habitué dans lequel il peut y avoir parfois des exceptions aux exigences.


Niveau d’expérience professionnelle

Les profils de poste sont déterminés en fonction du niveau d’expérience requis pour accomplir les missions d’un poste. Ces niveaux peuvent caractériser également les niveaux hiérarchiques dans certaines organisations. Généralement, il existe trois niveaux :

Junior : les profils juniors sont des débutants relativement nouveaux dans leur domaine ou qui ont moins d’expérience professionnelle sur un poste. Ils sont à leur première expérience professionnelle qui leur permet d’apprendre et de développer leurs compétences techniques. Les juniors ont souvent entre 1 à 4 ans d’expérience et leurs postes ont des tâches plus simples avec une supervision plus étroite.

Middle : encore appelés ‘confirmés, les profils middle ont acquis une certaine expérience dans leur domaine et ont développé leurs compétences techniques et professionnelles. Ils sont capables de gérer des missions plus complexes et peuvent superviser des juniors. Les profils confirmés ont généralement entre 5 et 9 ans d’expérience et peuvent avoir un niveau d’autonomie et de responsabilité plus élevé que les juniors.

Senior : les profils seniors ont une grande expérience et une expertise significative dans leur domaine. Ils sont souvent responsables de la gestion de missions importantes, de la prise de décisions stratégiques et supervisent des équipes de juniors et de confirmés. Les seniors ont plus de 10 années d’expérience avec un haut niveau d’autonomie et de responsabilité.

Il est important de noter que ces profils peuvent varier en fonction du domaine d’activité, de l’organisation et les responsabilités spécifiques associées à chaque niveau peuvent différer d’une organisation à une autre. De plus, le niveau d’expérience ne doit pas être confondu avec l’âge. On peut avoir 40 ans et être un junior dans le cadre d’une reconversion professionnelle par exemple.


Importance de l’expérience professionnelle

L’expérience professionnelle peut se définir comme l’ensemble des emplois exercés ou des postes occupés par une personne lors de son parcours professionnel. Etant le ‘learning by doing’, l’expérience professionnelle permet d’acquérir des compétences, de développer des aptitudes, d’assumer des responsabilités, de réaliser des accomplissements. La rubrique expérience professionnelle est de loin la plus importante du CV car elle permet d’apprécier la progression du candidat dans sa carrière, les postes occupés, les missions et tâches accomplies, les responsabilités assumées, les types d’organisations pour lesquelles il a travaillé…

C’est une pratique courante que de demander 5 ans ou 7 ans d’expérience lors d’un recrutement car l’expérience professionnelle joue un rôle crucial dans le processus de recrutement pour plusieurs raisons :

Exigences du poste : un poste en recrutement exige un niveau d’expérience pour pouvoir exécuter ses tâches et ses responsabilités de manière efficace. Par conséquent, demander un certain nombre d’années d’expérience peut être justifié pour garantir que le candidat possède les compétences nécessaires pour le poste.

Maîtrise du métier : une personne qui a une expérience professionnelle de plusieurs années dans un domaine est censé disposer des compétences, des connaissances et de l’expertise nécessaires dans ce domaine. Les organisations peuvent rechercher des candidats ayant une expérience suffisante pour qu’ils soient rapidement opérationnels et contribuer efficacement aux objectifs de l’organisation.

Evaluation des compétences : l’expérience professionnelle donne un aperçu des missions et responsabilités assumées par un candidat dans le passé et donc cela peut servir à évaluer s’il dispose les compétences techniques nécessaires à occuper le poste.

Présomption de performance : pour le recruteur, l’expérience professionnelle est un indicateur d’une future bonne performance du candidat qu’il s’apprête à recruter car un candidat qui a réussi dans des postes similaires occupés auparavant, réussira aussi dans le nouveau poste.

Crédibilité : l’expérience professionnelle donne une certaine crédibilité à son détenteur ; ce qui rassure le recruteur.

Adaptabilité : l’expérience professionnelle est un baromètre de l’adaptabilité du candidat à l’environnement du nouveau poste ; le fait pour un candidat d’avoir déjà travaillé dans des organisations ayant des cultures, des valeurs, des procédures similaires… facilitera son adaptation. 

Minimisation des risques et des coûts : un candidat expérimenté est susceptible d’être rapidement productif et plus autonome ; ce qui va réduire les risques d’un mauvais recrutement et les coûts de sa formation à l’intégration par exemple.

Opérationnalité : rares sont les organisations qui forment à l’embauche ; de ce fait elles recrutent des personnes ayant une expérience adéquate, gage d’une rapide opérationnalité dans le nouveau poste.

Responsabilité : pour occuper un poste de responsabilité, il faut avoir une expérience plus ou moins longue dans le domaine d’activités ; on ne peut pas superviser techniquement une équipe de professionnels dont on ne maitrise pas les activités.

Technicité : il y a des postes dont le niveau élevé de technicité nécessite qu’on ait acquis auparavant une expérience satisfaisante dans le domaine.

Notons que l’expérience professionnelle ne se limite pas qu’aux emplois rémunérés. Les années de stages, de bénévolat, de volontariat… sont comptabilisées dans les années d’expérience professionnelle. Aussi, le nombre d’années d’expérience requis pour un emploi peut-il varier en fonction du poste, de l’organisation et du secteur d’activité.


Pas de recrutement sans profil

Quand vous voyez une offre d’emploi ou une vacance de poste, il est important de prendre le temps de bien la lire. Il ne faut pas s’arrêter à l’intitulé du poste mais s’assurer que vous disposez du minimum des prérequis exigés dans l’annonce avant d’envoyer votre candidature. Vous pouvez ne pas cocher toutes les cases des différents critères mais il est important d’être sûr que vous remplissez la majorité des critères demandés pour faire le job avant de postuler. Le recrutement est rarement une loterie pour dire « je vais postuler voir, j’aurai peut-être une chance » même si vous êtes conscients de ne disposer d’aucune compétence requise pour le poste.

Comme je l’ai expliqué plus haut, le recrutement se fait toujours avec des critères inhérents aux exigences du poste surtout en matière d’expérience professionnelle. En élaborant son profil de poste, le recruteur sait la personne qu’il veut. Pour revenir à l’exemple du Coordinateur de projet, nous voulions un médecin car en plus de coordonner les activités du projet, qui est un projet médical, il doit également superviser les professionnels de santé et renforcer les capacités des formations sanitaires que le projet appuiera. Pour ce faire, il fallait des compétences en santé et une expérience dans le système sanitaire national pour réussir cet aspect de la mission. Donc au départ, nous savions le profil que nous recherchons ; pour cela, j’ai écarté tous les bons profils avec plusieurs années de coordination de projets que j’ai reçus et qui n’ont pas un background de médecins. Ils réussiront très bien la gestion du projet certes mais l’autre composante importante de renforcement du système de santé du projet en patira.

Si vous voyez un poste de sénior alors que vous êtes conscients d’avoir un profil junior, évitez de postuler car on ne vous recrutera pas. C’est un peu violent mais c’est la réalité et que personne ne vous fasse croire le contraire. C’est une perte de temps pour vous-mêmes et pour le recruteur. Si une offre d’emploi mentionne 7 ans d’expérience alors que vous en avez 2, il faut savoir que ce n’est pas votre profil qui est recherché ; vous n’êtes pas la cible de cette offre alors lisez et passez simplement. Un monsieur a écrit un post sur LinkedIn dans lequel il se demandait pourquoi on exige des jeunes de 22 ans d’avoir 5 ans d’expérience. J’ai commenté le post en lui demandant de me montrer l’offre d’emploi dans laquelle il est expressément mentionné qu’il faut un jeune de 22 ans à ce poste. Le prix d’une voiture est affiché à 50 millions de FCFA, vous disposez d’un budget d’un million de FCFA et vous vous énervez contre le vendeur de cette voiture qui doit diminuer son prix pour vous permettre de l’acheter parce que vous êtes à la recherche d’une voiture depuis un moment déjà ?!

Souvent, je vois des offres d’emploi qui m’intéressent mais je ne m’y aventure pas car je sais d’avance que je n’ai aucune chance compte tenu de leurs exigences. Dernièrement, j’ai vu une offre d’emploi d’une organisation humanitaire qui recrutait un Directeur des Ressources Humaines Régional qui coordonnera les fonctions RH de 10 pays et l’un des prérequis du poste est d’avoir préalablement une expérience RH régionale avec la gestion des fonctions RH de plusieurs pays. Même si j’ai occupé des postes internationaux, ma coordination RH se situe au niveau national et je n’ai pas encore été dans un poste de référent ou de conseiller RH au niveau régional ou au niveau ‘Siège’. Par conséquent, je n’ai aucune chance d’être présélectionné à ce poste. J’ai juste lu l’annonce et je l’ai fermée. C’est cette analyse que chacun devrait faire en face d’une offre d’emploi.

De nos jours, les softs skills ou aptitudes personnelles ont de plus en plus pignon sur rue dans le recrutement. C’est ainsi que certains recruteurs font croire aux demandeurs d’emploi que, même s’ils ne sont pas techniquement compétents pour les postes, ils peuvent être retenus grâce à leur engagement, disponibilité, agilité, capacité à apprendre, ouverture d’esprit, réactivité… C’est faux ! Vous ne serez pas recrutés. Cela peut arriver seulement dans des cas très rares.

Parfois, le recruteur a l’impression que certaines candidatures ont pour but de susciter sa compassion pour être prises en compte. Sinon comment peut-on comprendre qu’on recrute un assistant comptable et on reçoit la candidature d’une personne ayant une licence en droit et qui a fait des stages dans un commissariat et dans des associations ? Ou encore pour le recrutement d’un chargé de suivi évaluation d’un grand projet, je reçois la candidature d’un informaticien fraichement diplômé ? On ne vous recrutera pas par pitié, soyez en sûrs.

Pensez-vous qu’un jeune diplômé en médecine avec une formation en gestion de projet sans aucune expérience peut-il être le coordinateur du nouveau projet de santé de notre organisation? Ou bien selon vous, est-il possible de confier les finances d’un projet qui gère des millions d’euros à un primo demandeur d’emploi diplômé en comptabilité ? Pour un jeune sans expérience, ce n’est pas bon qu’on vous recrute aux postes pour lesquels vous n’avez pas d’expérience et ceci pour votre propre bien au risque de vous bruler les ailes et/ou de faire couler l’organisation. Pour exemple, j’étais dans une organisation où quelques années après, le premier responsable a recruté un superviseur pour mes collègues et moi. Le monsieur n’avait aucune expérience du domaine d’activités de l’organisation et n’avait pas les compétences techniques pour nous superviser. De balbutiement en balbutiement, quelques mois après, il a déchanté et a dû démissionner car il ne tenait pas. Un grand frère m’a aussi raconté l’histoire de son manager qui a été remplacé par une jeune dame nouvellement diplômée et débarquée d’un pays occidental pour venir diriger leur département. Elle ne maitrisait rien, ni techniquement ni en management d’équipe. Parce qu’elle est ‘’la fille de’’, on l’a bombardée à ce poste sans qu’elle n’en dispose les compétences. Elle passait son temps à demander à ses collaborateurs d’effectuer son travail et à donner des instructions et orientations gauches qu’elle ne comprenait pas elle-même. Au lieu de faire preuve d’humilité, elle jouait à la boss. Cette situation a fini par créer des frustrations, des tensions quotidiennes, une mauvaise ambiance dans l’équipe, un manque de considération pour le superviseur dont l’autorité est constamment bafouée. A la longue toute la performance de l’organisation va s’en ressentir et la personne inexpérimentée s’en sortira plus mauvaise.

Il arrive quelquefois qu’on procède au recrutement d’un profil junior mais les juniors ont moins de chance si les confirmés postulent au même poste à moins que ce soit une stratégie bien définie au départ pour recruter des jeunes sans expérience. Pour le cas de la banque évoquée plus haut, il y avait des caissiers parmi les postes à recruter, et la principale exigence est d’avoir un Bac+2 en comptabilité, finance sans expérience professionnelle. A l’arrivée, ce sont des caissiers expérimentés venant des autres banques qui ont été recrutés. Pourquoi me demanderiez-vous ? C’est du business et les patrons d’entreprises veulent des gens immédiatement aptes et opérationnels. Les coûts et risques de recrutement des caissiers expérimentés seront presque inexistants par rapport à ceux sans expérience. Une entreprise est créée pour faire du ‘chiffre’ et le plus tôt sera le mieux donc toutes les stratégies sont bonnes pour ce faire. Quand j’étais au cabinet, je me rappelle avoir plaidé la cause des jeunes sans expérience auprès d’un patron d’entreprise pour qu’il les recrute ; sa réponse a été sans appel : « Jeune frère !  Je ne fais pas du social mais du business et pour que mon business prospère, il me faut des gens aptes à me donner des résultats. Le social, je le fais déjà au Lions Club ».

Pour revenir au cas du PR sénégalais, quelqu’un a-t-il déjà vu la fiche de poste d’un président de la République sur laquelle il est mentionné la formation, le niveau d’expérience, les compétences techniques… à avoir pour être élu à ce poste ? A part les critères d’âge, de moralité…fixés par les constitutions, il n’existe pas de fiche de poste pour les postes de PR, encore moins pour ceux des ministres ou députés. Ce sont des postes politiques qui n’ont pas nécessairement besoin d’expérience professionnelle spécifique. Pendant des années, un médecin, de formation et de profession, a été le patron de la diplomatie française c’est-à-dire le ministre des Affaires Etrangères. Alors l’exemple du nouveau PR sénégalais est très mal choisi pour illustrer l’expérience professionnelle en matière de recrutement.  


Comment acquérir de l’expérience?

La question que beaucoup se poseront est de savoir comment acquérir l’expérience professionnelle tant demandée par les recruteurs. Avant d’arriver dans des postes pour avoir de l’expérience, il y a plusieurs autres moyens d’apprendre par la pratique sa profession, de développer des compétences à faire valoir dans des postes plus professionnels.

Stage : c’est généralement le premier moyen que la plupart des jeunes diplômés ont ou connaissent pour acquérir une première expérience. Il faut donc cibler les entreprises dans lesquelles vous souhaitez faire carrière ou dans lesquelles se trouvent votre domaine d’activités pour y chercher des stages.

Bénévolat : travailler sur un projet ou accompagner une jeune entreprise tout en mettant en œuvre ses compétences techniques et en les développant sans une rémunération permet de gagner en expérience. 

Programmes nationaux de développement des compétences : plusieurs pays ont institué des programmes au niveau national pour permettre aux jeunes diplômés sans emploi d’acquérir une première expérience. Si je prends le cas du Togo, il y a le programme AIDE piloté par l’ANPE et le PROVONAT qui sont de bons programmes qui ont permis à plusieurs jeunes diplômés de faire leurs premiers pas dans le monde professionnel et parfois de trouver leur premier emploi. J’ai participé à ces deux programmes grâce auxquels j’ai développé des compétences.

Volontariat international : il existe des programmes de volontariats que certaines organisations à l’instar des Nations-Unies et la Francophonie mettent en place pour des diplômés afin de leur permettre de participer à la mise en œuvre de leurs projets qui seront pour eux un ferment de développement des compétences. Les NU ont même des postes de volontariat national parmi lesquels on retrouve des postes en télétravail.

Jeunes professionnels : plusieurs organisations aussi bien internationales que nationales ont des programmes de jeunes professionnels. Ce sont des programmes destinés à des jeunes diplômés sans expérience qui sont recrutés (sur la base de certains critères) et qui font une immersion dans les différents départements de ces organisations dans lesquels ils apprennent les ficelles de leurs métiers et acquièrent de l’expérience. Les Nations-Unies et ses agences, l’Organisation Mondiale du Commerce, la Banque Mondiale, la Banque Africaine de Développement, la Commission de la CEDEAO…ont leurs programmes de jeunes professionnels. Ces programmes sont ouverts périodiquement (chaque année souvent) grâce à des appels à candidature. D’ailleurs une société de ciment du Togo a lancé le recrutement de sa deuxième cohorte de jeunes talents. Il y a plus de détails ici pour ceux qui sont intéressés.

Pour développer ses compétences techniques, il est très important de se former continuellement et ne jamais cesser d’apprendre. Si les professionnels confirmés ou seniors continuent de se former pour être à jour des nouvelles tendances et technologies de leurs domaines d’activités mais aussi se développer professionnellement, qu’en sera-t-il des juniors qui veulent grandir en compétence ? Aujourd’hui, internet est ‘démocratisé’ et il existe de milliers de ressources gratuites sur TOUT sujet. Il faut juste un peu de volonté et l’on pourra développer ses compétences et en acquérir de nouvelles avec internet. J’ai écrit un article sur l’autoformation qui pourra toujours aider.

L’une des techniques que j’utilise pour développer mes compétences, c’est de consulter les profils LinkedIn de personnes à qui je veux emboiter le pas professionnellement et je vois les formations qu’ils ont faites pour les répliquer aussi. Je contacte certains par messages et je leur pose des questions qui m’orienteront dans mes choix de formations continues pour faire évoluer ma carrière.

Nombreuses sont les organisations qui peinent encore à offrir des stages aux jeunes diplômés. J’estime que c’est une œuvre salutaire que de donner l’occasion aux primo demandeurs d’emploi de faire leur immersion dans le monde professionnel par des stages et d’éviter de ne prendre que des personnes recommandées ou pistonnées. Cette manière de faire mettent plusieurs jeunes ‘sans carnet d’adresses’ sur le carreau et les empêche d’apprendre.   

Au-delà de l’expérience professionnelle, je pense que le choix de la formation en amont est très important pour pouvoir vite s’insérer dans le monde du travail. Selon moi, certaines formations prédestinent automatiquement au chômage. A part devenir enseignant, je ne vois pas de débouchés des formations universitaires telles que la philosophie, les lettres modernes, l’allemand…Ailleurs, cela peut servir mais dans nos pays d’Afrique francophone que je connais un peu, ce sera très difficile à moins qu’on fasse une reconversion par la suite. Alors il faut bien réfléchir et prendre des conseils avant de choisir sa formation universitaire.

Dans une moindre mesure, il faut savoir planifier sa carrière et faire preuve de motivation et de sérieux pour évoluer dans son parcours professionnel.


Un peu d’effort!

Pour les jeunes diplômés et primo demandeurs d’emploi, il est important de savoir quoi et comment faire pour faciliter leur propre intégration sur le marché de l’emploi et faire une belle carrière. Mais ce n’est pas toujours le cas. Je lisais un post Instragram d’une dame qui invite les personnes qui insultent les recruteurs à passer une journée dans les services de recrutement pour lire les CV et lettres de motivation des candidats afin d’apprécier la qualité des candidatures reçues. Je peux dire que c’est mon quotidien depuis plusieurs années. Des énormités sur les CV, j’en rencontre tous les jours. Non seulement les candidats n’ont pas les compétences, mais aussi ils respectent rarement les consignes d’envoi des candidatures. Pour exemple, l’annonce mentionne clairement que le CV doit faire 3 pages maximum, les candidats envoient des CV de 10 pages tout en espérant être retenus pour le poste. Personnellement, je n’ai jamais été rigoureux sur la forme du CV sinon il y aura plusieurs candidatures qui ne seront pas considérées. Les demandeurs d’emploi commettent des erreurs qui plombent leurs candidatures mais comme il faut toujours un coupable, ce sont les recruteurs qui sont les méchants. J’avais consacré des articles à ces erreurs et au soin à accorder aux candidatures. Ils peuvent être lus ici, ici et ici.

Le monde du travail est très exigeant; ce n’est pas une cour de récré où les postes sont confiés à des personnes qui envoient des candidatures avec des erreurs et qui ne veulent eux-mêmes faire aucun effort. On ‘aide’ ceux qui font un peu d’effort mais il faut reconnaitre que certains jeunes demandeurs d’emploi n’en font pas. Il faut tenir un langage de vérité à l’endroit de ces jeunes qui ne veulent pas aller au charbon mais qui attendent que tout leur tombe dans les mains. Malgré tous les moyens actuels facilitant le développement des compétences et l’accès à l’information, ils préfèrent s’amuser et ne rien prendre au sérieux.

Ils ont des comptes sur tous les réseaux sociaux sur lesquels ils postent et suivent quotidiennement des futilités mais ils n’ont pas le temps de lire un article web pour apprendre à faire un bon CV ou suivre un tutoriel YouTube pour savoir utiliser Word. Quand les uns ne connaissent même pas l’adresse des agences d’emploi de leurs pays avec toutes leurs offres dans l’accompagnement des jeunes demandeurs d’emploi, d’autres ne savent pas par quel moyen obtenir la carte de demandeur d’emploi alors qu’ils se disent demandeurs d’emploi. Ils passent leur temps à s’amuser et viennent après jouer les victimes. Je ne généralise pas car je sais qu’il y a une minorité de jeunes conscients qui mettent tous les moyens à leur disposition pour réussir.

J’ai été le président des jeunes de ma paroisse pendant près de 5 ans, j’ai eu à organiser des séances à l’endroit des jeunes paroissiens, demandeurs d’emploi, pour leur apprendre à mieux organiser et optimiser leur recherche d’emploi avec tout ce que cela comporte comme rédaction de CV et lettre de motivation, recherche d’emploi, réussite d’entretien d’embauche… ; difficilement je me retrouvais avec 10 jeunes comme participants sur les centaines que compte la paroisse. En revanche, quand nous organisions des activités ludiques où il faut s’amuser, boire, manger, aller à la plage etc. on remplissait facilement des bus de 50 places. Après on viendra taper sur les recruteurs pour qu’ils donnent leur chance à ces jeunes qui ont du mal à donner la définition de leur filière de formation après y avoir obtenu un master. Un proverbe africain ne dit-il pas : « soulève ta charge jusqu’au genou, on t’aidera à la mettre sur la tête » ?

Aussi, faut-il que les jeunes apprennent et acceptent de commencer petitement sans bruler les étapes. Un junior devra prendre conscience de son statut et mettre tout en œuvre pour franchir les étapes avec le temps nécessaire pour devenir sénior.  Tout le monde est passé par là. Toutes les personnes qui ont réussi et qui occupent de grands postes, à part quelques exceptions, ont fait des stages ou du bénévolat, ont exercé des emplois qui sont parfois en déphasage avec leur diplôme mais ils ont accepté passer par ces moments d’apprentissage pour devenir les professionnels accomplis qu’ils sont aujourd’hui. Un voyage de 1000 km commence toujours par un pas dit-on alors chaque étape compte et contribue à l’expérience professionnelle globale.

Je donne souvent l’exemple des grands patrons qui cèdent leurs entreprises à leurs enfants : dans la plupart des cas, après leurs études dans les meilleurs écoles et universités et une fois dans l’entreprise familiale, ces enfants commencent au bas de l’échelle, font le tour des départements dans des postes de débutants. Pourtant ce sont les entreprises de leurs pères qui peuvent les nommer à leur entrée DG Adjoint ou Vice PDG sans avoir de compte à rendre. Mais ils ont compris l’importance de l’expérience professionnelle qui outillera leurs enfants petit à petit jusqu’à ce qu’ils prennent les rênes de l’entreprise plus tard.

On ne ménagera aucun effort pour accompagner les jeunes qui veulent réussir. Quant aux autres, ceux qui veulent s’amuser, ils seront laissés dans leurs jeux mais ils ne s’en prendront qu’à eux-mêmes après.


Conclusion

L’expérience professionnelle est un facteur important dans le recrutement et dans la carrière professionnelle. Critiquer les recruteurs qu’ils exagèrent sur le nombre d’années demandés dans les offres d’emploi ne changera rien.

On oublie très souvent que le recruteur est avant tout un employé qui doit apporter son expertise à la pérennité du ‘business’ en recrutant la bonne personne à la place qu’il faut et de ce fait, poursuit des objectifs sur lesquels il est évalué. Il ne mettra pas en péril son poste voire sa carrière en voulant faire des recrutements fantaisistes qui ne correspondent pas à la stratégie et/ou aux opérations de son organisation. Il fera ses recrutements, pas pour faire plaisir, mais de manière professionnelle pour répondre à un besoin précis et éviter ainsi les risques liés à un mauvais recrutement.

Le plus important est de trouver les voies et moyens pour acquérir l’expérience professionnelle et la développer pour son employabilité dans le temps. Je suis conscient qu’il est très difficile de trouver un emploi. J’avais même encouragé les demandeurs d’emploi dans cet article. Cependant, rien n’est impossible à celui qui a la volonté, qui ne baisse pas les bras, qui croit en lui et en Dieu et qui a la rage de réussir contre vents et marrées. Très souvent, ses efforts sont payants et il finit par avoir le travail de ses rêves. En tout cas, c’est tout le mal que je souhaite à tous les demandeurs d’emploi.  

VBG* : Violences Basées sur le Genre

ATS** : Applicant Tracking System, c’est un système informatisé de gestion du recrutement du début à la fin.

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