Emploi, Réflexion, Société

L’entrepreneuriat vu par un salarié !

Nous sommes dans un monde où l’accès à un emploi est de plus en plus difficile pour les diplômés. Malgré tous les conseils et astuces de recherche d’emploi donnés tous les jours par les professionnels RH, nombreux sont les jeunes diplômés qui peinent à trouver un premier emploi et à se prendre en charge.

L’une des solutions au chômage des jeunes, qui est présenté comme LA panacée ou LA solution miracle, est l’entrepreneuriat ; comprenez la création de sa propre entreprise, son propre business. Ainsi, nous avons de nos jours, réseaux sociaux aidant, de nombreux coaches pour qui l’entrepreneuriat est la solution miracle aux sans-emploi. C’est la voie par excellence de l’accomplissement de soi, de l’accès à la richesse, un bien meilleur accomplissement que le salariat. De mon piédestal de salarié, je pouffe de rire quand je lis ou j’écoute certains de ces pseudos coaches donner leurs conseils. Tout le monde doit manger, me dis-je.

Je n’ai rien contre l’entrepreneuriat, c’est une bonne chose d’ailleurs mais j’aimerais donner ici mon avis sur certains postulats de l’entrepreneuriat.


Tout le monde ne peut pas être entrepreneur

J’ai suivi une communication sur l’entrepreneuriat à l’endroit d’une assemblée composée essentiellement de jeunes diplômés lors de laquelle, le communicateur vantait les mérites de l’entrepreneuriat et exhortait ces jeunes à créer leurs propres entreprises au lieu de postuler à des emplois salariés. A ma question : « pensez-vous que tout le monde peut devenir entrepreneur ? Pour exemple, il parait que l’Université de Lomé seule ‘déverse’ chaque année, sur le marché de l’emploi, 2000 voire 3000 diplômés, ces 3000 personnes peuvent-elles créer chacune leur propre entreprise si je comprends bien vos conseils ? », la réponse a été balbutiante et bien entendu pas convaincante.

Pour moi, tout le monde ne peut pas être entrepreneur. Ce qui voudra dire que tout ceux qui détiennent une certaine connaissance ne peuvent pas, chacun, créer des entreprises, pour vendre ces connaissances ou les produits issus de ces connaissances. Aussi, j’estime-t-il qu’il faut avoir une certaine prédisposition ou capacité ‘naturelle’, une fibre entrepreneuriale pour pouvoir se lancer dans cette aventure éreintante de l’entrepreneuriat.

D’un autre côté, on ne se lance pas dans l’entrepreneuriat parce qu’on veut mettre fin à son chômage et que c’est la voie royale pour ce faire. Il faut nécessairement avoir un background, une expérience, une connaissance de ce qu’on veut proposer comme bien ou service. Sinon ce sera l’histoire du « charognard qui voudra vendre aux autres des médicaments pour faire pousser leurs cheveux alors que lui-même n’a pas de cheveux ».

Comme l’a une fois dit quelqu’un, et je partage cet avis, « comment quelqu’un qui ne sait pas vendre son profil à une à plusieurs entreprises, peut-il par miracle et dans la durée, vendre ses produits et services propres, (ce qui me paraît bien plus compliqué) à ces mêmes entreprises ? »

Il y aura des entrepreneurs et il y aura des salariés jusqu’à la fin du monde. Nous ne serons jamais dans un monde où les entrepreneurs seront plus nombreux que les salariés quel que soit toutes les motivations entendues ou tous les livres lus. Nous ne sommes pas tous faits ou n’avons pas tous les couilles capacités intrinsèques ou matérielles pour entreprendre. C’est un fait. Alors qu’on ne nous force pas à devenir tous ‘notre propre boss’. Ça ne marchera jamais.

Et puis, je vois certaines personnes, parce qu’ils ont un compte Facebook sur lesquels ils vendent des formations de marketing digital piquées sur un site, ou donnent des conseils à deux balles en entrepreneuriat, ou encore qui ont quelques bitcoins dans un portefeuille électronique s’affubler du titre d’entrepreneur. Certains se disent entrepreneurs parce qu’ils sont membres de structures de marketing de réseaux qui racolent à longueur de journée de nouveaux membres. D’autres encore ont des titres pompeux sur leurs profils LinkedIn genre CEO, DG alors que la forme légale de leur entreprise est ‘Etablissement’.

Nous avons tellement de coaches et de conseillers en entrepreneuriat de nos jours que je suis très curieux de connaitre réellement les entreprises de ces messieurs et leurs revenus et/ou patrimoines. A bien y voir, la plupart de ces vendeurs d’illusions ne connaissent même pas les formalités de création d’entreprise dans leurs pays.


 Le salariat n’est pas une malédiction

Les pseudos coaches en entrepreneuriat ne ratent aucune occasion pour tirer à boulet rouge sur les salariés, afin peut-être de donner de la contenance à leurs ‘conseils’ auprès de leurs cibles. Leurs affirmations sont entre autres : « le salariat est une malédiction », « le salariat est réservé aux gens médiocres » …  Des inepties à faire dormir debout.

Pour ma part, j’estime que le salariat est un passage obligé pour quiconque veut devenir à moyen ou long terme entrepreneur. Pour proposer des biens et services, il faut avoir un minimum de connaissance dans le domaine d’activités et je doute qu’un jeune, fraichement diplômé, puisse se lancer dans la création d’une entreprise dont il ne maitrise pas l’activité. En passant par la case ‘salarié’, on développe des compétences et on acquiert des connaissances permettant de mieux cerner les ficelles de son domaine d’activités pour pouvoir en répliquer le modèle et proposer des services de qualité à sa clientèle.

A une certaine époque, fatigué de chercher un emploi, j’ai décidé de créer un cabinet RH pour proposer des services (recrutement, paie, gestion administrative du personnel…) à des entreprises. Je l’ai formalisé au CFE1 avec deux amies comme associées. J’ai envoyé des propositions de services aux entreprises comme on le ferait pour une candidature spontanée. Nous n’avons effectué qu’une seule mission de recrutement. Avec le recul, je me dis que c’est normal que ça ne marchait pas ; pour la simple raison que je n’avais pas l’expérience nécessaire afin de proposer des services de qualité à mes clients. Actuellement, après avoir été salarié et acquis de l’expérience et le savoir-faire du métier, je pense que je suis mieux outillé pour créer une entreprise de services RH, quoique ne disposant pas encore de toutes les compétences pour bien la gérer. Car une entreprise ce n’est pas que les services à proposer ; il y a d’autres domaines dans lesquels, l’entrepreneur, premier responsable, doit avoir des bases : marketing, management, finances…

Les grands entrepreneurs qui cèdent la direction de leurs entreprises à leurs enfants en héritage ne les ont jamais bombardés directeurs généraux du jour au lendemain. Très souvent, ces enfants commencent au bas de l’échelle de l’entreprise familiale, afin de comprendre les rouages du business, et petit à petit, montent les échelons pour à terme prendre la place du premier dirigeant. Alors que généralement ces enfants ont fait les meilleures universités et grandes écoles et y ont reçu des formations sur la gestion d’entreprise. Ça, les coaches ne l’ont pas encore compris.

Aussi, l’entrepreneuriat nécessite-t-il de l’argent et certains entrepreneurs se servent des économies et autres investissements faits avec leurs salaires, pendant qu’ils étaient employés, pour lancer leurs propres affaires. Comment cela sera-t-il possible s’ils n’ont pas été d’abord salariés ?

Si tant est que le salariat est réservé aux gens médiocres, pourquoi les entrepreneurs recrutent-ils aussi des salariés ? C’est pour que ces gens médiocres viennent couler leurs affaires ? Superhommes détenant de super pouvoirs comme on aime à les présenter, les entrepreneurs peuvent eux-mêmes assumer toutes les fonctions de leur entreprise et éviter par conséquent la malédiction du salariat que peuvent leur apporter leurs salariés. Soyez un peu cohérents dans vos discours.

Et puis qui a dit qu’on n’a pas besoin d’être talentueux et compétitif en tant que salarié ? Je rappelle que les salariés passent par un processus pour être recrutés, qu’ils ont des objectifs à atteindre, qu’ils sont évalués par rapport à ces objectifs, qu’ils sont promus en responsabilité et gravissent les échelons au fil des années… Pour certains postes, il faut avoir des connaissances pointues et des compétences bien requises alors je ne vois rien de fainéant dans le fait d’être salarié.

Je connais des entrepreneurs fiers qui sont redevenus des salariés. Plus d’une fois, j’ai vu des dossiers de candidature d’entrepreneurs lors de processus de recrutement. Des gens que je connais pour certains qui étaient fiers d’avoir leurs entreprises. J’en ai même déjà recruté, juste que je n’ai pas voulu l’enquiquiner en entretien sur la question. Comme on le dit, « je ne dirai jamais allo patron » est en train de répondre à un mail avec comme introduction « Bonjour Monsieur le Directeur » 🙂

Une autre des affirmations phares des coaches est « si tu veux devenir riche et prospère, ne cherche pas un emploi, crée une entreprise ». Ah bon ? Toujours dans le sensationnel avec des déclarations fallacieuses. Je connais des employés qui perçoivent des dizaines de millions de FCFA de salaire par mois, je ne parle pas encore des salariés des GAFA2 ou de la Silicon Valley ou encore des footballeurs oui ils sont aussi des salariés ; des gens que nous connaissons et côtoyons parfois. Oui ils gagnent des millions par mois et peuvent, avec leur salaire mensuel, payer toutes les charges annuelles d’un entrepreneur. Certains salariés ont des réalisations que plusieurs entrepreneurs ne pourront jamais se permettre avec tous les revenus de leurs entreprises. Bref, on peut valablement devenir millionnaire en étant employé. Qu’on arrête de raconter des sornettes et les faire avaler aux jeunes qui n’ont aucune expérience de la vie.

Une fois, j’ai écouté un des coaches, un burkinabé je pense, qui affirmait haut et fort que faire plusieurs années d’études est une perte de temps. Libre à ceux qui les écoutent de continuer à le faire.


Difficultés de l’entrepreneuriat dans nos pays

Le discours exhortant à l’entrepreneuriat est ressassé de telle sorte qu’on penserait que c’est presque ‘simple’ de créer sa propre entreprise. En dehors des difficultés quotidiennes auxquelles sont confrontés les entrepreneurs, l’environnement de nos pays, malgré quelques bonnes volontés çà et là, ne favorise pas vraiment la réussite dans ce domaine.

L’une des principales difficultés des jeunes entrepreneurs est l’accès au crédit ou au financement pour démarrer ou agrandir leurs entreprises. Malgré un autre discours de l’entrepreneuriat à zéro franc, il faut nécessairement avoir un petit fond pour démarrer une affaire et pour l’avoir, c’est la croix et la bannière. Les institutions de crédit ne font aucune confiance aux jeunes, c’est normal, elles font aussi du business. Si elles décident de leur accorder quand même un crédit, c’est avec des intérêts très élevés en plus de demander des garanties énormes qu’un jeune ne pourra pas trouver. Certains se tournent parfois vers la famille et les proches pour obtenir des prêts avant de se lancer. Là, c’est également une autre paire de manches.  

Je lisais récemment le post d’un ami entrepreneur qui énumérait les taxes et impôts qu’il paie pour ses activités. C’est une autre difficulté de l’entrepreneuriat. Tous les pays font des vœux pieux visant à faciliter la création d’entreprise mais les mesures d’accompagnement surtout sur le plan fiscal ne suivent pas. Un jeune qui démarre à peine ses activités commence par payer des impôts et taxes sans même qu’on s’assure s’il fait des bénéfices ou pas. Acculés qu’ils sont, certains vont faire des prêts pour payer les impôts. Et comme les Etats ne badinent pas quand il s’agit du fisc, certains entrepreneurs finissent par vite mettre la clé sous le paillasson. Ils retournent alors aux « J’ai l’honneur… » qu’ils ont juré de ne jamais faire.

Si malgré tout cela un jeune arrive à émerger un peu et à gagner un marché, qu’il soit public ou privé ; il lui faut faire des pieds et des mains pour trouver les moyens financiers pour le réaliser. Bien avant cela, les agents véreux et corrompus qui lui ‘ont facilité l’octroi du marché’ négocient avec lui le pourcentage qu’ils percevront au moment du paiement. Une fois le marché exécuté, il lui faut encore supplier pour être payé. Il doit relancer le client nuit et jour, faire des pieds de grue dans son service, appeler le comptable plusieurs fois par semaine…avant d’être finalement payé des semaines voire mois après. Et il ne doit pas oublier les promesses des 10% qu’il a faites au début. Il parait que le paiement de ce pourcentage est institué dans certains services publics. Tu acceptes de le payer, tu prends ton chèque. Au cas contraire, il sera bloqué le temps qu’il faut.  A l’arrivée des courses, le jeune entrepreneur s’en sort plus que perdant.

D’un autre côté, les proches sont ceux qui plombent les initiatives entrepreneuriales. En bon africain, comme on aime tout faire en famille, on préfère avoir les produits et les services de nos proches gratuitement ou à un coût très réduit. On ne sait pas que c’est ce qui le fait vivre ou ne voit pas toute l’énergie et les dépenses qu’il engage pour produire, parce qu’on est frère ou sœur, il faut l’avoir gratuitement. Cela conduit plusieurs entrepreneurs, s’ils ne prennent pas garde, à déposer le bilan. Et après, la famille ne sera plus là. C’est pourquoi je le dis souvent, il ne faut pas faire des affaires avec ‘les sentiments’ ; « No pity in business » comme dirait Cauphy Gombo3.

Toutes ces difficultés font que, généralement les produits locaux sont chers et ne sont pas à la portée de toutes les bourses. C’est ainsi que les consommateurs, malgré toute leur bonne volonté, préféreront toujours acheter les produits importés à moindre coût que les produits fabriqués par les entrepreneurs locaux.

Par ailleurs, certains entrepreneurs pressés de gagner rapidement de l’argent, on ne leur a pas dit que c’est la voie la plus rapide de devenir riche, ne se soucient pas de la qualité de leurs produits ou services ni de la satisfaction du client. C’est ainsi qu’ils déversent sur le marché des produits de piètre qualité et ne prennent pas en considération le retour des clients afin de les améliorer. Soucieux de consommer local et de booster l’entrepreneuriat de mon pays, j’ai fait plus d’une fois l’amère expérience avec parfois des moqueries de mon épouse. Et quand tu donnes ton avis sur le produit, certains manquent même de te dire de le produire toi-même.


Conclusion

C’est bien beau l’entrepreneuriat, c’est une bonne chose d’avoir son entreprise avec des salariés qu’on paie et qui vous donne des « bonjour ou bonne arrivée patron » mais combien subsistent-ils aux difficultés ? Selon mon frère, on dit qu’il y a des centaines d’entreprises qui sont créés par jour au CFE, qu’on nous dise aussi combien sur ces centaines continuent à fonctionner au bout d’un an et quels sont leurs impacts sur l’économie nationale.

Que les coaches-motivateurs cessent de vanter à tout bout de champ les mérites d’un entrepreneuriat salvateur aux jeunes sans emploi et à clouer au pilori les salariés. En tout cas, nous ne refusons pas notre médiocrité en tant que salariés mais nous savons que beaucoup de leurs ouailles, super entrepreneurs et fiers, rejoignent chaque jour les rangs de la médiocrité après avoir gouté aux affres de l’entrepreneuriat qu’on leur présente comme la meilleure alternative à l’emploi.

En attendant de sauter peut-être le pas un jour pour devenir entrepreneur, nous continuons notre bonhomme de chemin de salarié en accumulant les compétences au fil des années. Au moins là, nous savons que notre minable salaire qui ne nous rendra jamais riche est garanti à la fin du mois.

Bon courage tout de même aux entrepreneurs!


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1 réflexion au sujet de “L’entrepreneuriat vu par un salarié !”

  1. J’ai toujours dit que l’entrepreneuriat n’est pas pour moi. Je ne peux supporter le stress de cette aventure. Tu l’as si bien dit. Tout le monde ne peut pas être entrepreneur et je voudrais t’offrir un vin pour cette vérité que tu as si bien dit. Entrepreneurs, CEO, DG mais aucun patrimoine, très endettés et surtout trompés par ces faux coaches des temps nouveaux. Vivement que nous nous reveillons. Je suis salariée et fière de mon petit salaire garanti. PLus d’inspiration pour des billets de cette qualité.

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